Façade sociale - Solo show by EVOL : UN-SPACED Espace éphémère- 18 Rue de l'Hôtel de Ville, 75004 Paris - Vernissage le 17/02/2022

Présentation

 

Nouvel Espace Éphémère 

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DU 17/02 -  13/03/2022

Venez nous rencontrer
18 QUAI DE L'HOTEL DE VILLE
75004 PARIS - FR

 

Ouvert au public du Mercredi au Smaedi - 11 a.m. / 7 p.m.

ou sur rendez-vous les autres jours.

Station de Métro la plus proche :
Pont Marie – Cité Internationale des Arts

 

Vues de l'exposition
Œuvres
Communiqué de presse

EVOL - GALERIE UN-SPACED

 

 

La part vivante de l’architecture

 

Première exposition personnelle de Tore Rinkveld aka Evol avec la galerie Un-Spaced, Façade Sociale rassemble dans l’espace éphémère de la Cité des Arts à Paris une dizaine d'œuvres sur carton. Ce sont des vues architecturales minutieuses réalisées au pochoir, d’après photo, le plus souvent dans l’environnement immédiat de l’artiste à Berlin. Elles sont la déclinaison d’une démarche initiée il y a une quinzaine d’années à même la ville, principalement sur des armoires électriques où Tore Rinkveld s’est appliqué à reproduire en petit format les immeubles de Friedrichshain, le quartier où il vit. Ces détournements lui ont valu d'imposer sa singularité : la création d’œuvres “méta-architecturales” qui sont, de son aveu même, les reflets de nos sociétés.  

Avant lui, rares étaient les artistes créant dans l’espace urbain à avoir opéré une critique de l’architecture à même le lieu de son déploiement. Sans doute faut-il voir dans le graffiti writing un élan de cet ordre, mais cette indiscipline est bien trop foisonnante pour imposer une lecture aussi univoque. C’est plutôt dans l’art conceptuel qu’il faut aller chercher des démarches parentes, sans qu’elles soient d’ailleurs pour l’artiste des sources d’inspiration directes. Dans ses œuvres in situ, il y a quelque chose des bandes rayées dont Daniel Buren vient souligner les caractéristiques d’un lieu, et bien sûr de “l’anarchitecte” Gordon Matta-Clark, chez qui la mise en question des dynamiques urbaines propres aux métropoles des années 1970 conduit à une intervention sur la structure même du bâti. Comme eux, Tore Rinkveld tend aux espaces qu’il investit leur propre reflet. C’est sa façon d’en évoquer l’histoire et le devenir sans pour autant tomber dans l’agit prop et les discours trop explicites. Cette intention discrète se joue jusque dans ses œuvres sur carton. Ainsi, pour présenter celles qui composent l’exposition Façade Sociale, il a choisi un lieu brut, aux murs texturés, à l’image de ceux qu’il aime représenter. 

Chez lui toutefois, la critique en acte de l’architecture s’exprime dans une veine réaliste plutôt que conceptuelle. Dans ses travaux d’atelier, une gouttière, un fil électrique, un reflet sur une vitre, un rideau ou une plante en pot viennent parfaire l’illusion d’un espace vivant. Ainsi, ses façades sont le fruit d’un travail complexe de déconstruction de l’image. Pour les produire, Evol crée à l’ordinateur un grand nombre de calques, parfois jusqu’à trente. Des photographies qui lui tiennent lieu de documents préparatoires, il extrait un détail, l’isole et le réagence pour mieux le faire saillir dans la composition finale. Afin d’attirer l’attention sur l’architecture et ce qu’elle dit de la société, il parie sur l’épure et la justesse de la représentation. 

Cette précision, qui dénote une maîtrise rare du pochoir, évoque à première vue le dessin architectural. Le caractère frontal des édifices patiemment assemblés par l’artiste rappelle d’abord les élévations : ces dessins techniques ont justement pour objet de représenter la façade d’un édifice à construire, le plus souvent dans le but d’en donner une idée précise à son commanditaire. La présence d’un passant, d’un graffiti, d’une antenne ou d’une parabole, bref de tout ce qui vient signaler l’idée d’un espace animé, inscrit aussi les œuvres d’Evol dans la lignée des vedute. Très en vogue au XVIIIe siècle, ces vues urbaines héritent du dessin architectural mais s’émancipent de sa vocation technique : ils sont faits pour la contemplation, et non plus pour guider la conception d’un édifice. C’est pourquoi les maîtres du genre recourent à la camera obscura, qui leur permet de susciter l’admiration par leurs effets de perspective et leurs jeux d’ombres et de lumière. Il en va de même des façades créées par Tore Rinkveld : tout en souscrivant apparemment aux conventions des élévations, elles s’en distinguent par leur ambition, qui est de donner à voir et surtout à penser. 

En l’occurrence, leur réalisme et leur précision permettent de ramener à l’échelle humaine un urbanisme qui l’excède par principe : le fonctionnalisme. Mis en œuvre après-guerre dans toutes les métropoles occidentales, et singulièrement dans le Berlin-est placé sous tutelle soviétique, ce modèle d’aménagement se caractérise par sa planification. Il n’est plus élaboré à hauteur d’homme mais en surplomb, par des professionnels surtout soucieux de régler des flux et de discipliner des hommes. En miniaturant les immeubles nés de la reconstruction, Tore Rinkveld prend l’exact contrepied des urbanistes planificateurs. Il ramène leurs froides réalisations à la bonne échelle et la seule qui vaille : celle du riverain, de l’habitant, du flâneur, bref de l’être humain qui vit ou passe par là. A propos des bâtiments qu’il peint in situ ou dans l’atelier, il parle d’ailleurs de portraits. C’est bien l’espace vécu qui l’intéresse, de préférence à l’espace conçu. Davantage que comme une référence à l’habitat social omniprésent dans ses œuvres, il faut sans doute lire dans ce sens le titre de l’exposition Façade Sociale : toute façade est sociale par définition, car l’architecture produit des usages au moins autant que du béton. Elle n’est pas un simple abri ou une enveloppe où se protéger du froid et de la pluie, mais un lieu de vie. 

D’où l’intérêt d’Evol pour le carton. Ceux qu’il utilise sont à l’image des bâtiments peints dessus. Couverts de scotch brun, de menues déchirures, d’écritures manuscrites ou d’imprimés, ils ont vécu et portent les traces de leurs usages passés. L’artiste prend d’ailleurs soin d’en restituer l’histoire, en écrivant au dos de chacun d’eux le lieu de sa collecte. Plus éphémères encore qu’une vie humaine, ils ont aussi quelque chose de bon marché, de négligeable, à l’image des classes populaires de Friedrichshain qu’on recycle ailleurs pour laisser place aux programmes immobiliers haut-de-gamme et aux meublés pour touristes. Leur fragilité soutient ainsi chez Evol une forme de nostalgie : elle redouble une méditation, au fond romantique, sur le devenir d’un Berlin en voie de gentrification. 

Enfin, le carton est, tout comme l’architecture, tendu entre intérieur et extérieur : fait pour protéger son contenu, il ne vaut que par cette fonction. Ramené dans les œuvres de l’artiste à sa quasi planéité, donc impropre à l’usage, il lui permet de mieux mettre en exergue le relief des lieux d’habitation, leur vibrance particulière, leur personnalité. Alors, les signes et inscriptions imprimés dessus deviennent des éléments du décor urbain, des clins d'œil au contexte politique et culturel. Ils se mêlent au dessin d’architecture pour distiller discrètement dans l’image des effets de présence. Au gré d’un subtil jeu d’échos, ils nouent avec les passants, avec les graffitis, avec les éléments architecturaux, une conversation animée. 

Cette conversation, faut-il le préciser, excède très largement la critique d’un urbanisme déshumanisant. Il y entre aussi du jeu et du contrepied. En reversant les usages, les formes et les fonctions du carton et de l’architecture, en mêlant signes urbains et signes imprimés, Evol s’amuse. Il s’amuse encore lorsqu’à l’occasion de Façade Sociale, il tire une sérigraphie de son intervention Wheel of fortune en 2014 au Palais de Tokyo. De celle-ci, il propose une version mise en abyme, qui fait la part belle à ce qu’il y a autour de l'œuvre. Un extincteur ou un cartel en deviennent alors des éléments saillants, comme pour mieux souligner l’écart entre un espace d’art contemporain convoité et les mornes bâtiments de béton qui y sont peints. 

Les throw-up et les graffitis que l’artiste distille dans certaines de ces pièces manifestent aussi à leur façon cet art du contrepied. Bien sûr, ils contribuent à l’effet de réel de ses façades, puisqu’ils s’affirment ici comme les éléments banals de tout environnement urbain. Mais ils superposent aussi au jeu d’échelle spatial un jeu d’échelle temporel, en créant un raccourci entre le passé de graffeur d’Evol et ses travaux contemporains. Surtout, ils viennent encore et toujours ramener un peu de singularité dans un décor en voie de dépossession. Grâce à eux, l’artiste décrit en filigrane une ville à son image, appropriable, habitable, offerte à l’exploration et au je(u). Comme un ultime pied-de-nez à tous les planificateurs et les promoteurs.